Louis Joseph Duchatel est né le 4 mars 1811 à La Bassée, commune du Nord de la France.
Une quarantaine d’années plus tard, il réside à Tournai. Quand a-t-il quitté sa région natale ? Quelles furent ses activités ? A quel moment s'est-il fixé dans notre ville ?
Certaines questions restent actuellement sans réponse. Mais il est clair que Duchatel n’a pas coupé les ponts avec sa famille :
sa mère, ses frères et beau-frère ont signé en tant que témoins son acte de mariage tournaisien.
Premiers pas en photographie
En 1855, il habite au 13 du quai Saint-Brice. En juillet de cette année, il s’essaie à la photographie. Le succès est au rendez-vous : les vues de
Tournai qu’il expose dans les vitrines des commerçants suscitent l’intérêt des curieux et la qualité de ses portraits force l’admiration du public.
En décembre 1855, fort de son savoir-faire, il ouvre un atelier de photographie en son domicile. Il propose
à sa clientèle l’éventail classique de la photo de l’époque : portraits individuels et de groupe, vues, reproductions de tableaux, statues ou autres.
En mai 1856, il transfère son atelier à l’estaminet de la Couronne, au 9 de la rue des Campeaux.
En mars 1858, il est nommé maître de calligraphie à l’athénée royal (actuellement Jules Bara). Duchatel
occupe vraisemblablement déjà cette fonction depuis un
certain temps : le poste a été déclaré vacant dès octobre
1855.
L’essor
La décennie ’60 s’ouvre sur des événements qui marqueront la vie de Duchatel.
Sur le plan privé d’abord, Duchatel se marie. Le 23 mai 1860, il épouse une voisine, Philippine Aimée Bozière, sœur de François Bozière, l’auteur
de "Tournai ancien et moderne" . Duchatel collaborera d’ailleurs à l’ouvrage en fournissant trois photos.
Sur le plan professionnel, Duchatel cumule les activités de maître de calligraphie et de photographe. Il est probable que jusque vers 1860, son
métier d’enseignant constitue encore son principal gagne-pain.
En septembre 1861, Duchatel installe de nouveau son atelier au quai Saint-Brice. Il en profite pour le réaménager selon les standards
professionnels de l’époque : exposé au nord, disponible par tout temps et destiné au portrait.
En octobre 1861, il quitte sa fonction d'enseignant et se consacre exclusivement à la photographie. Son commerce est alors lancé !
Pour s’assurer une clientèle constante, il en fait une publicité systématique dans la presse locale. Ses annonces mentionnent
clairement la production et les prix de photos dites "cartes de visite".
Le portrait carte de visite
Vers la fin des années 1850, la photo carte de visite apparaît en Belgique. Ce petit format, commercialisé à Paris depuis 1854,
permet une reproduction facile et son coût modique favorise sa diffusion rapide. La photographie devient en peu de temps le miroir de la société influente
de l’époque. Les milieux aisés, friands de nouveauté, sont aussi désireux d’afficher leur statut social. Devant l’objectif, bourgeois, aristocrates, ecclésiastiques
ou militaires adoptent des attitudes hiératiques et codifiées pour mettre scène leur rang.
Les photos de Duchatel n’échappent pas à cette tendance. Notables endimanchés, femmes en crinoline impressionnent par leur solennité. Dans
un décor minimaliste, ils trônent dans un immobilisme académique, sobre et rigide. Parfois, leur pose s’assouplit lorsqu’ils s’appuient sur un meuble
ou une balustrade, mais l’absence de sourire rappelle immanquablement le sérieux du moment.
Les personnes âgées, les femmes, les ecclésiastiques et les jeunes enfants ont le privilège de s’asseoir. Cette facilité accordée aux bambins permet
d’ailleurs d’assurer leur immobilité.
Duchatel produit des portraits principalement en pied, qu’il recadre parfois en plan 3/4, en buste ou au niveau du visage. Dans les deux derniers cas, il
prend soin d'estomper les contours par un dégradé. Très exceptionnellement, il colorie ses photos. Ce traitement est réservé aux sujets arborant
des costumes inhabituels, tels ceux portés par une troupe de comédiens ou ceux d’enfants déguisés.
La mise en scène de la clientèle appelle également l’utilisation d’accessoires. Selon les photos, on retrouvera des éléments d’architecture (balustrade, colonne
à base carrée), d’aménagement intérieur (chaise, table, meuble, fauteuil) ou de décoration (rideau, fleurs).
Pour parfaire la composition, ces ornements sont aussi associés à des décors peints. Pour ce faire, deux toiles contribuent à créer l’illusion.
La première, plutôt simple, imite un mur garni en sa partie inférieure de caissons de bois. La seconde, plus élaborée, représente une vue extérieure. Elle combine
en avant-plan une gloriette et une colonne surmontée d’un pot de fleur ; en arrière-plan, un cours d’eau serpente dans des collines boisées. Ces éléments proches
ou lointains permettent à Duchatel de varier ses cadrages et d’exploiter ainsi différents points de vue.
Enfin, un fond clair et uni, idéal pour les portraits détourés, est utilisé.
Une décennie de production
Tandis que Duchatel se forge une réputation, Guillaume Gytier, vitrier-encadreur, ouvre en 1862 un atelier photographique. Cette concurrence ne fera toutefois
pas souffrir Duchatel : Gytier réalise peu de photos et poursuit principalement son activité première, la vente d’articles en verre et d’objets décoratifs.
La liste des photographes tournaisiens s’étoffe encore en 1865 : Théophile Brackelaire, originaire de Renaix, ouvre un studio à l’enclos Saint Martin. La production
du nouveau venu est importante, mais n’affecte apparemment pas celle de Duchatel.
Il est vrai que celui-ci est maintenant connu et bien établi. De plus, le marché qui s’élargit au fil du temps permet aux trois portraitistes de vivre de leur
art. Durant plusieurs années, leurs commerces coexistent, tout comme leurs publicités paraissent simultanément dans la presse locale.
Celles de Duchatel s’arrêtent pourtant en 1873. Est-ce là l’indice de l’arrêt de ses activités ? On peut le supposer ; le photographe a alors 62 ans.
Duchatel retourne alors dans l’anonymat et termine sa vie à la rue du Monnel. Son épouse décède en 1892, lui-même en 1893, sans laisser de descendance
directe. Ses
biens sont mis en vente publique peu après. Comme témoignage posthume, il nous lègue une importante production, variée et de belle qualité. Ses
portraits ont garni les albums de famille pendant plusieurs générations. Aujourd’hui, ils perpétuent le souvenir –ou au moins le nom- de celui qui
fut le pionnier de la photographie commerciale à Tournai.
Sources
• Archives de l’Etat
• Archives du "Courrier de l'Escaut"
• Répertoire professionnel de Tournai - 1862
• "René Desclée, photographe tournaisien : 1868-1953", Bernard Desclée, Archéologie industrielle de Tournai, 1988, pages 26 à 37
• Etude personnelle de la production de Duchatel